Plus de trois ans pour composer une photo… Record à battre ?

Coucher de soleil sur la baie de Kotor, Monténégro

L’art de composer une photo a fait l’objet de milliers de livres et de centaines de milliers d’articles en tous genres. Mais on n’apprend jamais mieux qu’en analysant ses propres erreurs. La preuve.

Le confinement a été l’occasion d’une grosse session de tri de mes archives, qui m’a fait retrouver plein de jolies photos de shootings passés. Parmi ces photos, une qui m’a beaucoup amusé :

Tivat, Monténégro, août 2018
« Baie de Kotor au coucher du soleil »

C’est une photo que j’ai prise en août 2018 à Tivat au Monténégro, à l’occasion d’une de mes missions pour l’association Solidarité Kosovo, qui y emmène chaque été en vacances une quarantaine d’enfants de la minorité serbe du Kosovo. C’était la première fois que j’y allais, et je découvrais cet endroit absolument incroyable qu’est la baie de Kotor. Dès que le programme me le permettait, je me baladais pour photographier ce paysage superbe.

Cette photo fait partie d’une série prise juste devant l’hôtel où nous étions. Juste après le soleil couchant, des nuages filent doucement dans le ciel encore clair. Une légère pause longue permet de montrer ce mouvement tout en lissant l’eau déjà bien calme puisqu’une succession de baies empêchent les vagues du large d’arriver jusqu’à la plage.

À première vue, la photo est jolie mais pas exceptionnelle : je ne l’avais d’ailleurs pas publiée à l’époque, en ayant plein de plus belles.

Pire : même si je ne m’en souviens pas avec certitude, je suis convaincu que je l’ai mise de côté à cause des deux personnes sur la droite. Je ne les ai sans doute inclues dans le cadre que parce qu’elles étaient là et qu’il me fallait un premier plan pour rehausser le paysage. Mais elles semblent très mal placées : elles regardent vers le bord de la photo, on ne sait donc pas quoi. Elles ont dû, au moment de la prise de vue, me déranger.

Deux personnages accessoires qui deviennent sujet

Et c’est là que ça devient amusant. L’année d’après, en août 2019, je suis retourné au même endroit, avec la même association mais des enfants différents, pour la même mission. Cette fois encore, j’ai utilisé mon temps libre pour photographier l’endroit. Et j’ai fait cette photo-ci :

Tivat, Monténégro, août 2019
« Deux amies »

Celle-ci a été publiée. Elle a été pensée, construite, planifiée.

Ce que je voulais montrer, c’était ceci, qu’indiquait ma publication sur les réseaux sociaux :

« Leçon de vie monténégrine : une bonne copine, c’est quelqu’un avec qui on peut passer du temps sans rien dire, sans bouger, en regardant plutôt les parois moches d’un mur sale que le paysage magnifique qui se trouve de l’autre côté. »

C’est ce que je pensais à la prise de vue, c’est ce qui m’a fait choisir cet angle, cette pause longue – refaite plusieurs fois pour enfin avoir une image où les deux « copines » ne bougeaient pas ou presque, un scrupule que je n’ai pas eu en 2018, ce qui confirme qu’elles ne m’intéressaient alors pas beaucoup –, ce cadrage, etc. C’est avec ça en tête que je l’ai sélectionnée, retouchée, publiée. C’est ça que je voulais montrer, et je crois que ça marchait assez bien.

Une photo « spontanée »… pensée longuement

Pourtant, avec le recul, je me demande si la première, celle involontaire de 2018, ne montre pas mieux ce que j’ai voulu montrer en 2019. On y voit mieux le « paysage magnifique » annoncé ; on y voit mieux le contraste entre les personnages – jaunes – et le-dit paysage – bleu ; on y voit mieux le regard des deux « copines » se diriger dans la mauvaise direction.

Ou peut-être au contraire la place accordée au paysage empêche-t-elle de voir ce qui serait alors le « vrai sujet » : les deux « copines » et leur choix étonnant d’orientation. Peut-être finalement la meilleure photo serait-elle un mélange de ces deux-là : l’angle de la première avec le cadrage plus resserré de la deuxième ?

Faudra-t-il attendre l’année prochaine (le voyage de cette année est a priori annulé à cause du Covid…) pour que j’arrive enfin à faire la belle photo que ces deux amies monténégrines semblent vouloir qu’on prenne d’elles ?

Si j’y parviens, ça sera sans aucun doute la photo « spontanée » que j’aurais mis le plus de temps à composer !

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