Louis Jamin

Thierry Luang-Rath, le poinçonneur de Saint-Jean-la-Poterie

« C’est en m’imposant cette contrainte un peu extrême que je me suis libéré. » Le paradoxe ne fait pas peur à Thierry Luang-Rath, artisan potier installé depuis quelques années dans un bâtiment de l’ancienne faïencerie de Saint-Jean-la-Poterie.

La minutie non plus ne l’effraie pas : au moment où il me dit ça, ça fait dix minutes qu’il enfonce sans se lasser un tout petit poinçon en bois dans la forme encore tendre d’un bol en terre façonné la veille. La main droite donne un coup de poinçon, précis et minutieux, puis la main gauche qui tient le bol sur les genoux le tourne de quelques degrés à peine et présente une surface de terre encore vierge que le poinçon marque à son tour. Et ainsi de suite. Depuis dix minutes. Moi qui ne fais que regarder, j’ai déjà des palpitations d’impatience. Thierry, lui, garde son visage penché paisiblement sur son travail et sourit de voir qu’il avance comme il faut.

Illustration du travail de Thierry Luang-Rath
Un coup de poinçon parmi les 13000 environ qui seront nécessaire à l’achèvement de ce bol. Soit deux jours d’un travail de fourmi.

Ce travail au poinçon, c’est ce qui fait la spécificité du travail de Thierry Luang-Rath. Non pas que la technique soit exceptionnelle : de nombreux artisans potiers la connaissent et l’utilisent. Ce qui est exceptionnel, c’est de n’utiliser qu’elle, à l’exclusion de toutes les autres. Thierry m’explique : « En poterie, pour façonner des formes, on ajoute de la matière, ou on en retire. Je me suis interdit ces deux possibilité : toute la matière qui se trouve sur mon bol à la fin était là au début, et toute la matière qui est au début sera là aussi à la fin. Je ne fais que déplacer la matière, en la pressant successivement à l’aide de plusieurs poinçons ».

Des ptits trous, des ptits trous, toujours des ptits trous…

C’est l’accumulation de ces enfoncements qui crée des figures géométriques étonnement complexes. « Mon but est de faire disparaitre la technique derrière des lignes, des figures apparaissant en relief », explique l’artisan potier. Sur certains de ses bols, c’est absolument fascinant : on les croirait tressés. Les lignes finissent par se chevaucher, faisant totalement oublier qu’elles ne sont apparues que par contraste avec la matière qui les entoure et qui a été enfoncée à plusieurs reprises. Une véritable dentelle en terre cuite.

« Mon but est de faire disparaitre la technique derrière des lignes, des figures apparaissant en relief. »

Ce choix n’est pas apparu de nulle part : il est le fruit d’un long parcours professionnel, qui a fait passer Thierry de la poterie en série à la gestion d’un musée de la poterie, et d’une réflexion profonde sur le sens de son travail. Une réflexion qu’il partage volontiers de la voix calme et assurée de l’artiste qui sait qui il est et pourquoi il fait ce qu’il fait. Avant de retourner à ses gestes millimétrés mille fois répétés.

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