Louis Jamin

En coulisses. Comprendre l’instant pour mieux le saisir

La photo sportive n’est pas du tout mon domaine de prédilection, et quand je m’y essaie, je cherche toujours à apporter un regard différent sur l’événement, à saisir les coulisses, les à-côtés, plutôt que l’action brute elle-même. Malheureusement, mon manque d’habitude rend la chose particulièrement compliquée. Exemple…

Dimanche 10 avril 2022. Je suis à Bains-sur-Oust sur le parcours de la course cycliste « Redon-Redon », organisée par le Redon Olympic Cycliste. Comme le Tour de France, c’est une course qui ne passe qu’une seule fois en chaque point du parcours. J’ai donc passé un bon moment la veille de la course à planifier mon shooting afin de pouvoir avoir trois ou quatre occasions de prendre des photos du peloton, ce qui implique de me déplacer en essayant de le précéder de point en point. Bien sûr, je n’ai à chaque fois que quelques minutes pour chercher un angle et me préparer, sans d’ailleurs jamais savoir le temps qu’il me reste. Des conditions particulièrement compliquées, donc, et que je maîtrise mal, ce qui va me pousser à l’erreur…

Je suis à Bains-sur-Oust, deuxième étape de mon parcours. Je suis arrivé aussi vite que je pouvais de ma première étape, entre Avessac et Massérac, où j’ai pris cette photo, qui marche bien mais sans faire d’étincelles.

Je suis donc encore à la recherche de LA photo de la journée… et je pense la trouver là, en arrivant à Bains : ce monsieur qui lit son journal à deux pas de l’endroit où passeront les cyclistes d’ici quelques minutes est parfait. S’il reste là jusqu’à l’arrivée des coureurs, et surtout s’il ne change pas trop son attitude, alors j’aurai ma photo : les cyclistes qui passent ce virage devant cet homme qu’ils n’intéressent pas vraiment.

Dans ma tête, la photo est parfaite. Mais le facteur « hasard » est bien trop important, et les conditions exposées plus haut font que je n’ai pas le courage de lui laisser autant de place. Je décide donc de tricher un peu et de faire un peu de mise en scène, ce que j’essaie la plupart du temps de ne pas faire. Je vais voir le monsieur et lui demande s’il est passionné de cyclisme et ce qu’il compte faire dans les minutes qui viennent. Un peu surpris, il me répond qu’il compte finir la lecture d’un ou deux articles et suivre son chemin. J’abuse de sa gentillesse et ose lui demander s’il accepte que je le prenne en photo dans cette posture si les coureurs daignent passer avant son départ, ce qu’il accepte avec un sourire.

Hélas, le temps passe et je sens qu’il va finir par partir, alors que le peloton ne se fait toujours pas annoncer.

J’hésite un peu, puis décide de quitter pour de bon le champ du photojournalisme pour rentrer dans celui du photomontage où je suis habituellement moins à l’aise : puisque je risque de ne pas avoir sur la même photo ce monsieur ET les cyclistes, je décide de faire deux photos, l’une avec le lecteur tant qu’il est là, puis l’autre avec les cyclistes quand ils passeront, et de les fusionner.

Aussitôt dit, aussitôt fait : je m’assure d’avoir le même angle entre ces deux photos en posant mon boitier sur un poteau situé là et en retenant la focale de mon objectif. Puis je prend la première photo, celle-ci :

C’est ensuite que mon manque d’habitude des courses cyclistes me joue un tour. Pour accentuer l’effet de contraste entre l’attitude du lecteur et l’événement qu’il aura l’air d’ignorer sur la photo finale, je décide de travailler un léger flou de mouvement sur les cyclistes, dont le mouvement sera alors visible, ajoutant un contraste supplémentaire à l’image et attirant encore plus l’attention sur le personnage plutôt que sur les cyclistes, qui dans cette scène sont en fait totalement secondaires.

La difficulté, c’est que je n’ai qu’un seul passage pour faire cette image, et donc qu’une seule chance. Impossible de faire un premier test, de regarder le résultat et d’affiner pour une deuxième tentative. Et là, j’estime très mal la vitesse des cyclistes à cet endroit. J’imagine que le virage, assez serré, les fera ralentir fortement, et règle donc une pause à 1/20 de seconde pour obtenir ce léger flou de mouvement.

L’échappée arrive, c’est elle que je veux avoir sur cette photo pour éviter le côté confus du peloton. Je presse en rafales, ça prend 4 ou 5 photos à peine et ils sont déjà hors du cadre. C’est la deuxième photo :

Puis je cherche un autre angle pour l’arrivée du peloton, annoncée environ une minute plus tard, et je n’ai donc même pas le temps de regarder ce que donne cette deuxième photo.

Rentré chez moi quatre heures plus tard, je fais ma magouille : je garde l’ensemble de la photo avec les cyclistes… et je colle le monsieur dessus, là où il se trouvait quelques minutes plus tôt, construisant ainsi la photo qui, dans ma tête, devait être la meilleure de la journée, ou en tout cas la plus fidèle à ce que j’aime faire. La voici :

C’est seulement à ce moment-là que je réalise que j’ai totalement sous-estimé la vitesse des cyclistes dans le virage. L’ouverture a été bien trop longue, ce qui fait que le flou de vitesse, qui devait être très léger juste pour qu’on ne se concentre pas sur les coureurs, est bien trop important… Les coureurs en questions sont tellement flous qu’ils sont passés à l’état de fantôme méconnaissables, alors même que les spectateurs sur le bord de la route, eux, sont bien nets et ont donc l’air d’être autant le sujet que le lecteur du journal. L’effet est complètement raté.

Finalement, j’ai quelques bonnes photos de cette journée (vous pouvez les voir en cliquant ici), mais aucune qui corresponde autant à ce que je souhaitais faire que celle-ci qui n’a pas fonctionné comme je l’espérais, juste parce que j’ai mal jugé le moment. La conclusion est sans appel : je vais devoir photographier des courses cyclistes bien plus souvent !

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